Borins de Constant Malva
Avant-toute chose je dois
dire que la première fois que j’ai entendu parler de Malva, c’est lors de la "livraison" si je puis-dire, de la préface généreusement offerte par Daniel
Charneux, écrivain à Dour, édité chez Luce Wilquin.
Daniel Charneux citait,
entre autres, Malva pour démontrer qu’on peut être un ouvrier et puis, écrire.
Cette préface était un joli cadeau pour introduire mon roman : Verlaine
avoue Rimbaud.
Alors, Constant Malva, je
l’ai encore un peu plus, un peu mieux découvert lors d’un spectacle au sujet de
l’identité boraine. En effet, une poignée de Borains, et pas n’importe
lesquels, il s’agissait de Françoise Houdart, Annie Préaux, Daniel Charneux,
Roland Thibeau, Jean-Claude Derudder, Alain miniot… Tous des acteurs de la
culture boraine contemporaine. Malva est un pseudonyme, son vrai nom est
Bourlard Alphonse, né en 1903 à Quaregnon, décedé en 1969 à Saint-Josse-ten-Noode.
Il fut un mineur parmi tant d’autres. Malva n'aura jamais son diplôme d'école
primaire, mais un instituteur lui fit cadeau d'une grammaire qu'il gardera
jusqu'à sa mort.
Après l'armistice, en
1919, alors qu'il avait quinze ans, il devint mineur de fond comme son père au
charbonnage du Rieu du Cœur à Quaregnon.
Voilà pour Malva, moi ce
qui m’intéressait, c’était de le lire ! Quelques jours plus tard, après le
spectacle sur l’identité boraine vint Mon’s Livres, salon du livre bien connu
en Wallonie. Avant l’affluence je fais un tour, et me dirige vers le stand de L’Oiseau
Lire, célèbre librairie d’ouvrages anciens de Mons. Et puis là, plusieurs
ouvrages de Malva ! Je discute avec la libraire et lui demande conseil
afin de découvrir au mieux la plume, le style de Malva. Tous sont au même prix
et c’est « Borins » qu’elle m’indique. Particularité de cet ouvrage
datant de 1937, sa première édition, son premier tirage, il est non massicoté.
Pour résumer, il faut, au fur et à mesure de votre lecture, découper vous-même les
pages. J’adore cette idée ! Déflorer votre lecture… Une pratique, un style
d’impression qui s’est presque perdu et c’est bien dommage, cela m’a donné des
idées…
De quoi parle ce petit
livre ? Ce livre parle des Borins (Borains) et plus particulièrement des mineurs Borains.
Dans ce petit livre nous sommes plongés dans l’ambiance, l’atmosphère d’alors…
Nous sommes à une époque où l’extraction du charbon est plus « moderne »
si je puis m’exprimer ainsi… Les méthodes se sont modernisées et pourtant,
toute la difficulté, la crainte du pire et la camaraderie s’y trouve et Malva
nous la rapporte à merveille.
Je vous cite quelques
extraits qui m’ont interpellé :
[…] Eh bien les traînards,
vous avez encore du dimanche dans la peau ? […]
[…] Les hommes se
succèdent sans arrêt et toujours la même question se pose :
— C’est hue ?
— C’est hue ?
— C’est hue ?
Et les porions répondent :
— Oui, c’est hue ! […]
C’est hue était l’expression
dans le dialecte borain pour dire : On y va, c’est parti ?
[…] Chargés de leurs
lampes et de leurs outils, les hommes prennent place dans les compartiments
exigus. Ils se serrent avec des grognements. Quand ils sortiront leurs tartines
de leur sac de toile, les croutes et la mie ne formeront plus qu’une masse informe.
[…]
Un peu plus loin nous est
relaté la descente selon Malva :
[…] Pendant ce temps, à
intervalles réguliers, dans un tintamarre fait de bruit de ferraille et de
coups de sonnette, la cage surgit du puits, s’immobilise quelques instants,
puis repart avec sa grouillante cargaison.
La recette, peu à peu, se
nettoie.
Il ne reste plus que
quelques hommes ; bientôt plus personne.
Par son gosier démesuré,
la bure les a ingurgités jusqu’au dernier. […]
Ce passage m’a ému,
frappé par sa description digne qui cache toute la crainte de ne peut-être pas
remonter vivant…
[…] « Tu gagneras
ton pain à la sueur de ton front »
D’abord quelques gouttes
ont perlé et ont roulé vers les yeux jusque dans leur bouche ; en un rien
de temps leur caleçon a été trempé, et leurs pieds se sont mis à nager dans
leurs chaussures. La fatigue les a quittés avec les premières gouttes ;
maintenant ils sont plus souples, plus agiles, plus forts. Seulement, ils
boivent beaucoup et ne cesse de mâcher du tabac. […]
Les semaines étaient
longues, on peut essayer d’imaginer les matins, avant qu’ils ne s’encouragent
en se demandant si c’est "hue" ? Ils devaient être éreintés, découragés,
malheureux. Dans ce passage il est bien décrit qu’après les premières suées, la
vigueur, tel un second souffle, revient, et comme des machines ils abattent un
travail de titan… Plus loin il est décrit un dialogue qui aujourd’hui n’a pas
changé finalement, sauf que parfois, de nos jours on se plaint d’aise en
comparaison de cette période minière :
[…] Bah ! ils sont
comme nous, bons ou mauvais, c’est le régime qui les rend injustes.
Quand le socialisme sera
établi dans le monde, quand les ouvriers ne seront plus des choses mais des
hommes, les chefs nous traiteront comme on doit traiter des hommes, et le
travail deviendra presqu’un plaisir. […]
Mon Dieu… Rien n’a changé
dans le discours… Mais voilà, l’homme est sans cesse en quête de mieux et de
toujours plus ? Nos conditions de travail ont évoluées, la sécurité, le confort,
les salaires… Mais le contexte ? C’est un large débat, je crois…
À l’époque, après le travail
et la remontée, il y avait le cabaret.
« Le cabaret,
c'était un sas entre deux enfers : celui, poisseux, de la mine et l'autre,
misérable, du foyer » (Victor Regnart, le buveur de bière à la grosse
moustache). Voici comment le décrit Malva :
[…] Tu vas sans doute
trouver ça drôle, dit-il. Je bois, je bois par chagrin et par plaisir, je bois
parce que je suis à la fois heureux et malheureux. Tu ne comprends pas, hein[…]
L’alcool, la bière c’était
certainement leur seule évasion mais qui ruinait aussi leur santé… C’est aussi
là qu’on se défoulait, qu’on tapait sur les politiciens, les décideurs, mais c’est
aussi là qu’on s’épanchait, telle la bière dans leurs gosiers asséchés :
[…] Je vais tout te
raconter, c’est bon cela, de raconter, cela soulage. Je ne sais rien garder
pour moi, j’ai la langue bien pendue. Quand je souffre, il faut que je clame ma
douleur, que je montre mes plaies à tout le monde. Ce n’est pas beau, mais ça
fait du bien. […]
Ce petit livre et la découverte
de Malva, cet homme qui n’obtint pas son diplôme de primaire (comme moi), m’a
touché, impressionné et je suis bien heureux de découvrir cet auteur presqu’oublié,
car c’est ainsi qu’on n’oubliera pas, je vais m’atteler, moi, et d’autres comme
ceux cités plus haut, à le citer dès que l’occasion se présentera. Je
terminerai cette longue chronique, mais cela en valait la peine, par ce passage
qui clôt une journée de mineur à l’époque :
[…] Que je suis heureux
de revoir ma femme, mes livres, mon intérieur, jusqu’au chat qui s’arrête de
dormir pour me regarder.
S’éveiller après un
terrible cauchemar, revenir à la vie quand on s’est vu mort, quelle délicieuse
chose ! […]