jeudi 28 novembre 2019

Borins de Constant Malva par Vincent Vallée.


Borins de Constant Malva




Avant-toute chose je dois dire que la première fois que j’ai entendu parler de Malva, c’est lors de la "livraison" si je puis-dire, de la préface généreusement offerte par Daniel Charneux, écrivain à Dour, édité chez Luce Wilquin.
Daniel Charneux citait, entre autres, Malva pour démontrer qu’on peut être un ouvrier et puis, écrire. Cette préface était un joli cadeau pour introduire mon roman : Verlaine avoue Rimbaud.

Alors, Constant Malva, je l’ai encore un peu plus, un peu mieux découvert lors d’un spectacle au sujet de l’identité boraine. En effet, une poignée de Borains, et pas n’importe lesquels, il s’agissait de Françoise Houdart, Annie Préaux, Daniel Charneux, Roland Thibeau, Jean-Claude Derudder, Alain miniot… Tous des acteurs de la culture boraine contemporaine. Malva est un pseudonyme, son vrai nom est Bourlard Alphonse, né en 1903 à Quaregnon, décedé en 1969 à Saint-Josse-ten-Noode. Il fut un mineur parmi tant d’autres. Malva n'aura jamais son diplôme d'école primaire, mais un instituteur lui fit cadeau d'une grammaire qu'il gardera jusqu'à sa mort.
Après l'armistice, en 1919, alors qu'il avait quinze ans, il devint mineur de fond comme son père au charbonnage du Rieu du Cœur à Quaregnon.



Voilà pour Malva, moi ce qui m’intéressait, c’était de le lire ! Quelques jours plus tard, après le spectacle sur l’identité boraine vint Mon’s Livres, salon du livre bien connu en Wallonie. Avant l’affluence je fais un tour, et me dirige vers le stand de L’Oiseau Lire, célèbre librairie d’ouvrages anciens de Mons. Et puis là, plusieurs ouvrages de Malva ! Je discute avec la libraire et lui demande conseil afin de découvrir au mieux la plume, le style de Malva. Tous sont au même prix et c’est « Borins » qu’elle m’indique. Particularité de cet ouvrage datant de 1937, sa première édition, son premier tirage, il est non massicoté. Pour résumer, il faut, au fur et à mesure de votre lecture, découper vous-même les pages. J’adore cette idée ! Déflorer votre lecture… Une pratique, un style d’impression qui s’est presque perdu et c’est bien dommage, cela m’a donné des idées…


De quoi parle ce petit livre ? Ce livre parle des Borins (Borains) et plus particulièrement des mineurs Borains. Dans ce petit livre nous sommes plongés dans l’ambiance, l’atmosphère d’alors… Nous sommes à une époque où l’extraction du charbon est plus « moderne » si je puis m’exprimer ainsi… Les méthodes se sont modernisées et pourtant, toute la difficulté, la crainte du pire et la camaraderie s’y trouve et Malva nous la rapporte à merveille.
Je vous cite quelques extraits qui m’ont interpellé :

[…] Eh bien les traînards, vous avez encore du dimanche dans la peau ? […]
[…] Les hommes se succèdent sans arrêt et toujours la même question se pose :
— C’est hue ?
— C’est hue ?
— C’est hue ?

Et les porions répondent :

— Oui, c’est hue ! […]

C’est hue était l’expression dans le dialecte borain pour dire : On y va, c’est parti ?

[…] Chargés de leurs lampes et de leurs outils, les hommes prennent place dans les compartiments exigus. Ils se serrent avec des grognements. Quand ils sortiront leurs tartines de leur sac de toile, les croutes et la mie ne formeront plus qu’une masse informe. […]

Un peu plus loin nous est relaté la descente selon Malva :

[…] Pendant ce temps, à intervalles réguliers, dans un tintamarre fait de bruit de ferraille et de coups de sonnette, la cage surgit du puits, s’immobilise quelques instants, puis repart avec sa grouillante cargaison.
La recette, peu à peu, se nettoie.
Il ne reste plus que quelques hommes ; bientôt plus personne.
Par son gosier démesuré, la bure les a ingurgités jusqu’au dernier. […]

Ce passage m’a ému, frappé par sa description digne qui cache toute la crainte de ne peut-être pas remonter vivant…

[…] « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »
D’abord quelques gouttes ont perlé et ont roulé vers les yeux jusque dans leur bouche ; en un rien de temps leur caleçon a été trempé, et leurs pieds se sont mis à nager dans leurs chaussures. La fatigue les a quittés avec les premières gouttes ; maintenant ils sont plus souples, plus agiles, plus forts. Seulement, ils boivent beaucoup et ne cesse de mâcher du tabac. […]

Les semaines étaient longues, on peut essayer d’imaginer les matins, avant qu’ils ne s’encouragent en se demandant si c’est "hue" ? Ils devaient être éreintés, découragés, malheureux. Dans ce passage il est bien décrit qu’après les premières suées, la vigueur, tel un second souffle, revient, et comme des machines ils abattent un travail de titan… Plus loin il est décrit un dialogue qui aujourd’hui n’a pas changé finalement, sauf que parfois, de nos jours on se plaint d’aise en comparaison de cette période minière :

[…] Bah ! ils sont comme nous, bons ou mauvais, c’est le régime qui les rend injustes.
Quand le socialisme sera établi dans le monde, quand les ouvriers ne seront plus des choses mais des hommes, les chefs nous traiteront comme on doit traiter des hommes, et le travail deviendra presqu’un plaisir. […]

Mon Dieu… Rien n’a changé dans le discours… Mais voilà, l’homme est sans cesse en quête de mieux et de toujours plus ? Nos conditions de travail ont évoluées, la sécurité, le confort, les salaires… Mais le contexte ? C’est un large débat, je crois…
À l’époque, après le travail et la remontée, il y avait le cabaret.
« Le cabaret, c'était un sas entre deux enfers : celui, poisseux, de la mine et l'autre, misérable, du foyer » (Victor Regnart, le buveur de bière à la grosse moustache). Voici comment le décrit Malva :

[…] Tu vas sans doute trouver ça drôle, dit-il. Je bois, je bois par chagrin et par plaisir, je bois parce que je suis à la fois heureux et malheureux. Tu ne comprends pas, hein[…]

L’alcool, la bière c’était certainement leur seule évasion mais qui ruinait aussi leur santé… C’est aussi là qu’on se défoulait, qu’on tapait sur les politiciens, les décideurs, mais c’est aussi là qu’on s’épanchait, telle la bière dans leurs gosiers asséchés :

[…] Je vais tout te raconter, c’est bon cela, de raconter, cela soulage. Je ne sais rien garder pour moi, j’ai la langue bien pendue. Quand je souffre, il faut que je clame ma douleur, que je montre mes plaies à tout le monde. Ce n’est pas beau, mais ça fait du bien. […]

Ce petit livre et la découverte de Malva, cet homme qui n’obtint pas son diplôme de primaire (comme moi), m’a touché, impressionné et je suis bien heureux de découvrir cet auteur presqu’oublié, car c’est ainsi qu’on n’oubliera pas, je vais m’atteler, moi, et d’autres comme ceux cités plus haut, à le citer dès que l’occasion se présentera. Je terminerai cette longue chronique, mais cela en valait la peine, par ce passage qui clôt une journée de mineur à l’époque :

[…] Que je suis heureux de revoir ma femme, mes livres, mon intérieur, jusqu’au chat qui s’arrête de dormir pour me regarder.
S’éveiller après un terrible cauchemar, revenir à la vie quand on s’est vu mort, quelle délicieuse chose ! […]

mercredi 27 novembre 2019

La Seine soupire… Par Vincent Vallée





La Seine soupire…

La Seine n’entend pas, ne parle pas, elle est là et respire, emporte tout et s’étire…

Y a deux gamins qui sont assis sur un muret de Paris
Sur le bord de la Seine, là où la ville se noie sans peine
Il est six heures et doucement s’éteint l’astre qui rit
Ils se racontent des histoires, les yeux noyés dans la Seine

La Seine n’entend pas, ne parle pas, elle est là et respire, emporte tout parfois pire…

Et pour toi Félix, la vie dis-moi, c'est quoi dit le cadet
Jouer aux billes, manger des glaces et puis voilà, raisonne le grand
Moi j'aime les glaces mais j’aime pas trop les billes, suis pas doué
Je préfère mille fois le nougat, papa dit que c’est mauvais pour les dents

La Seine n’entend pas, ne parle pas, elle est là et respire, emporte tout et s’enivre…

Doucement coule l’eau devant ces deux petits bouts de vie qui discutent
Une Seine qui les entend roule devant eux et emporte avec elle des secrets enfantins
Noyés dans l’artère fluviale qui emporte tout sans lutte
Se fondent et coule, confessions, rêves, pensées et autres chagrins

La Seine n’entend pas, ne parle pas, elle est là et respire, emporte tout et soupire…                                                                                  ©Vincent Vallée