Le Journal d’un prisonnier, de
Nicolas Sarkozy – lecture et analyse par Vincent Vallée
Pourquoi lire le dernier ouvrage
de l’ancien président Nicolas Sarkozy ?
La curiosité a été la plus
forte. En tant que romancier depuis plus de seize ans, je mesure ce que
représente l’écriture d’un livre : un
temps long, une discipline, une énergie
constante. Même enfermé vingt-trois heures sur
vingt-quatre, je doute de pouvoir produire, en trois semaines, un texte de
cette ampleur – manuscrit de surcroît. Il serait donc naïf de nier l’intervention active de la maison
Fayard. Mais après tout,
c’est aussi le rôle d’un éditeur :
accompagner, structurer, corriger, mettre en forme.
À la découverte du titre, ma
première réaction a été une certaine réserve : Le
Journal d’un prisonnier sonne immédiatement très fort, peut-être trop. D’où un
second sentiment, plus diffus : celui d’une possible déconnexion entre certaines élites et la réalité vécue par « ceux d’en bas ». Je me compte moi-même parmi ces derniers, sans
intention péjorative. Pourtant, la
curiosité l’a emporté. Vingt euros plus tard, le
livre était entre mes mains.
Nicolas Sarkozy y raconte ce qui
l’a conduit – selon ses propres mots – à une « descente
aux enfers » : son
incarcération à la prison de la Santé. Certains lecteurs espéraient y trouver une repentance ; ils y
liront plutôt une série de confessions maîtrisées. L’ancien président évoque son rapport au luxe sans
jamais vraiment le nommer, tout en décrivant
un univers carcéral qu’il juge gris, bruyant, hostile,
sinistre. Il reconnaît d’ailleurs explicitement que la
situation est bien pire pour nombre d’autres
détenus et qu’il en a pleinement conscience.
Sur le fond judiciaire, Nicolas
Sarkozy affirme son innocence. Juridiquement, et tant que les procédures ne
sont pas définitivement closes, il bénéficie encore de la présomption
d’innocence pour l’affaire qui l’a conduit en prison. Il revient sur ce dossier,
mais sans s’y attarder longuement. Il répète – avec une ténacité qui lui est
propre – qu’il n’a rien à se reprocher. Il s’appuie notamment sur l’expression
« probablement
faux », utilisée par la juridiction à propos d’un document publié par Mediapart, censé étayer
l’hypothèse d’un financement libyen de sa campagne de 2007. Sarkozy souligne
que, lors de la dernière audience, plusieurs chefs d’accusation ont été écartés : pas de
financement établi, donc pas de
complicité ni de détournement de fonds.
Rappelons toutefois les éléments
factuels, indépendamment du récit de l’auteur :
Condamnation
– Association de malfaiteurs
dans le cadre d’une tentative de financement libyen de la campagne
présidentielle de 2007 (cinq ans de prison, peine en cours d’appel).
Relaxes / chefs non retenus dans
ce dossier
– Corruption, détournement ou
mésusage de fonds libyens, financement illégal de campagne.
Autres condamnations antérieures
(affaires distinctes)
– Affaire des écoutes
(corruption et trafic d’influence).
– Affaire Bygmalion.
Une question demeure, et elle
dépasse largement la personne de Nicolas Sarkozy :
comment comprendre qu’une
condamnation subsiste lorsque plusieurs chefs d’accusation
sont écartés ?
Comment interpréter le rôle d’un document jugé « probablement
faux » dans le déclenchement d’une enquête, et pourquoi ce faux n’a-t-il pas, à son tour, fait l’objet d’investigations approfondies ? En
mettant de côté les passions que suscite
Sarkozy – entre rejet viscéral et soutien fervent –, ces interrogations ne
sont-elles pas, en elles-mêmes, légitimes ?
Revenons au récit. Sarkozy
décrit son entrée en prison, loin des caméras et de l’agitation médiatique.
C’est sans doute là que se situe l’intérêt principal du livre. Voir une figure
politique majeure, habituée aux plus hautes fonctions de l’État, quitter
brutalement son univers de pouvoir pour rejoindre un lieu que personne ne
souhaite connaître : la prison. Il est passé par la mairie, les ministères, l’Élysée. Le contraste est violent.
Il décrit avec précision le
quotidien carcéral : le lit dur « comme
une table », la fenêtre grillagée, le mobilier fixé au sol, le miroir placé bas en raison d’une cellule adaptée aux personnes à mobilité réduite,
la salle de sport confinée, le
tapis de course mécanique,
le bruit incessant, les cris nocturnes, les bagarres, les alertes. Une
description sobre, sans lyrisme excessif, mais efficace.
À ce titre, la comparaison avec
Dostoïevski s’impose presque d’elle-même. Dans Souvenirs de la maison des
morts, l’écrivain russe explorait la prison comme un lieu de déshumanisation
mais aussi de révélations morales. Sarkozy, bien sûr, n’est ni Dostoïevski ni
un forçat sibérien du XIXᵉ siècle. Son expérience est plus
courte, plus protégée, plus consciente de ses privilèges. Et il le reconnaît.
Il admet bénéficier d’un
traitement particulier et dit éprouver de la compassion pour les autres
détenus. Il raconte notamment une nuit entière passée à entendre un évadé,
rapidement repris, hurler, pleurer, se lamenter. Il confesse avoir ressenti une
profonde tristesse face à la détresse de cet homme, sans même connaître les
faits qui l’avaient conduit là.
C’est sans doute dans ces
moments-là que le livre trouve sa justesse :
lorsque le politique s’efface
brièvement au profit d’un homme confronté, comme tant d’autres avant lui, à l’enfermement
et à la perte brutale de repères.
Mais là encore, prenons de la
distance afin d’éviter toute caricature et de ne pas heurter inutilement les
détracteurs de Nicolas Sarkozy. Par la force des choses, l’homme a longtemps
été déconnecté de la réalité ordinaire, au même titre qu’une vedette de la
chanson, du cinéma ou toute autre personnalité politique de premier plan. Il ne
s’agit ni de l’excuser ni de l’accabler, mais de tenter une analyse à hauteur
d’homme, sans injure ni haine, et sans ces jeux de mots faciles qui tiennent
davantage de la raillerie que de la réflexion.
J’avoue toutefois avoir souri
devant certaines caricatures circulant en ligne — notamment celle représentant
le sommet de la chevelure de Nicolas Sarkozy dépassant à peine de son plateau à
la cantine. Parenthèse refermée : ce sourire n’est pas une moquerie
revendiquée, mais le rappel que l’humour existe aussi comme soupape collective.
Pour le reste, je ne céderai ni à l’insulte ni à sa complaisance. Ce serait me
rabaisser, et je n’en vois ni l’intérêt ni la nécessité.
Le premier échange autour de ce
livre sur ma page Facebook a suscité un nombre de réactions qui m’a surpris.
Cela m’a conduit à m’interroger sur la manière même de chroniquer cet ouvrage.
J’essaie ici d’être juste et impartial. Il s’agit d’une critique littéraire,
non d’un manifeste politique, encore moins d’une entreprise de réhabilitation
ou de condamnation anticipée. Ce livre n’efface rien, pas plus qu’il ne préjuge
de l’issue définitive des procédures judiciaires en cours, lesquelles
pourraient, le cas échéant, s’ajouter aux condamnations déjà prononcées.
Je n’ai, par ailleurs, jamais
compris — ni admis — l’intervention militaire française en Libye sous la
présidence de Nicolas Sarkozy. Le chaos durable dans lequel le pays est plongé
depuis lors interroge nécessairement les responsabilités politiques de l’époque.
Dès lors, les hypothèses abondent : Sarkozy serait-il victime d’un complot,
d’un acharnement judiciaire, d’une vengeance dont les acteurs resteraient dans
l’ombre ? Paierait-il aujourd’hui les conséquences de décisions prises hier,
ici ou ailleurs ? Faut-il invoquer le karma, une cabale, une vendetta ? Toutes
ces questions peuvent être posées. Aucune ne s’impose comme une évidence. Libre
à chacun de se forger son opinion.
Ce qui m’a véritablement
intéressé dans Le Journal d’un prisonnier, c’est moins le nom de son
auteur que la situation qu’il décrit : celle d’un homme puissant, habitué à un
monde où tout est accessible, où le confort est la norme, projeté brutalement
dans l’univers carcéral. Peu importe, au fond, qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy
; ce qui compte, c’est ce déplacement radical, même si l’auteur demeure — et il
le reconnaît lui-même — un détenu privilégié.
Je reste toutefois conscient des
limites du récit. Sarkozy force parfois le trait, accentue certains aspects, et
demeure, malgré ses efforts, partiellement déconnecté de ce que vivent la
majorité des détenus ordinaires. Cette distance affleure régulièrement dans le
texte et en constitue, paradoxalement, à la fois la faiblesse et l’intérêt :
elle rappelle que l’expérience racontée n’est ni universelle ni transposable,
mais située, subjective, façonnée par une trajectoire hors norme.
Merci de m’avoir lu.
©Vincent Vallée, romancier.
https://vincentvallee.blogspot.com/

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