dimanche 2 juin 2019

Je veux me souvenir par Vincent Vallée





Il était une fois… Voilà comment débutent les belles histoires n’est-ce pas ?
Pour ma part, l’histoire dont je veux me souvenir ce soir, c’est l’histoire de ce jeune garçon qui lisait assis par terre dans une bibliothèque, des BD, des romans…
Je veux aussi me souvenir, même si ce fut dur alors, atroce même, de ce petit qui en l’espace d’une heure perd son unique repère, son pilier, son modèle, son premier spectateur… J’avais 8 ans, il était 16 h 45 et tu étais couché… Une heure avant j’étais sur tes genoux. Je veux me souvenir de ce grand dictionnaire que tu m’as donné Tintin, juste avant de partir là d’où on ne revient pas.

Car si je pouvais une heure seulement, te voir revenir, te tenir la main et te dire… non, te demander comment agir et réagir dans ce monde complètement fou, entendre tes réponses… Il y en a une que je connais déjà : Vincent… Tout ça a passé l’eau… Alors je serais apaisé et je te dirais combien, 34 ans plus tard tu comptes encore pour moi…
Je veux me souvenir de ces difficiles moments à l’école, ces échecs, ces difficultés, mais aussi ces craintes, ces chagrins et appréhensions chaque veille de jour d’école… chaque veille… Me souvenir de ma prof de première primaire qui me laisse seul pendant une récréation, moi plâtré, elle qui devait s’absenter… J’étais si horriblement seul. Ce jour-là, j’ai pris conscience que les adultes mentaient parfois aux enfants.

Je veux songer à mes efforts pour passer au-dessus de mes angoisses, de mes bobos imaginaires, et puis toi à qui j’ai fait tant de mal, tellement peur alors que j’étais en parfaite santé. Alors durant toutes ces années, j’ai loupé l’essentiel : L’école, apprendre, m’amuser…
Mais je veux pourtant me souvenir de ces quelques profs qui m’ont aidé, aimé même. Celui qui m’a pris dans ses bras pour rejoindre la classe chaque jour, car j’étais à nouveau dans le plâtre, chaque midi, chaque soir… C’est ce même prof qui a semé en moi la graine des mots. Mon Dieu comme je lui dois…

Je veux me rappeler de cet autre prof qui m’a annoncé que j’étais le seul à avoir raté mon examen cantonal. Il avait eu cette délicatesse, celle de m’isoler et de me dire que ce n’était pas un échec, mais qu’à partir de là j’allais me battre et surtout, que j’allais gagner. Alors monsieur… Je n’ai pas tout gagné non, mais ça vous le saviez n’est-ce pas, mais j’ai gagné beaucoup de bataille, contre moi, contre ça, contre eux…
Je veux me souvenir de ces histoires que j’écrivais, ces poèmes au marqueur de couleur, ces lettres d’amour que j’écrivais… Cette machine à écrire que j’ai apprivoisée pour « jouer à l’écrivain » je me suis pris au jeu. Je veux me souvenir de ce roman énorme qui me disait de le lire, que je regardais en me disant je ne sais pourquoi que je devais m’y plonger. Je l’ai fait… 3 fois.
Des pages entières, des carnets entiers, des fardes remplies, des mots d’amour, de haine, de chagrin puis des histoires comme « Le château de Cheron, Emeline la poupée oubliée, Mon ami Dicky », et puis dans ces histoires une dernière qui s’intitulait Le grand voyage… Mes petites histoires, mes premières tentatives.

Je veux me souvenir de mes débuts d’auteur, gauche, maladroit, berné par un pseudo éditeur français en 2010, puis un autre en 2012, puis un passage à vide… mais jamais je n’ai lâché ma plume, toujours j’ai travaillé à m’améliorer. Je me rappelle avoir persévéré, repris des cours à distance, et puis j’y ai cru, vraiment cru… Quelle déception ! Alors que je m’étais battu, tellement battu contre moi, je croyais y être arrivé car il me le disait: tu n’es plus ceci, cela, tu es un écrivain édité. Il(s) me le dir(ent)… Cet épisode m’a renvoyé à cette fois où mon institutrice m’a laissé seul dans cette grande classe...
Mais… Je veux me souvenir que je suis en train d’oublier et tant pis pour mes deux poètes… Je les abandonne, mais je me souviendrai que grâce à eux, uniquement eux, j’ai pu oublier une mauvaise rencontre de 2005, car en me reconnaissant en eux, j’ai pu obtenir un petit lectorat, une petite reconnaissance, j’ai un pied dans la porte entrouverte, grâce à eux je m'épanouis en écriture. Alors oui, tant pis je les abandonne réellement mais moi j’avance, parce que j’ai gagné. Mon pire ennemi, c’est moi. Aujourd’hui, et j’ai gagné une bataille contre lui.

« JE est un autre » pas vrai Arthur ?

Je veux me souvenir que tout ça, fait que je suis moi aujourd’hui, que je suis un auteur publié qui se bat chaque jour pour faire aboutir ses rêves, tant pis pour ceux qui se sont en-volés, la route est longue on y laisse parfois une roue, un pare-chocs et alors ? Seul mais fier, seul mais conforté par mon choix, seul mais je peux me regarder en face et comprendre que je fais des erreurs, je me conduis mal parfois, je suis têtu, provocant. Cependant, au-delà de ça, je suis fier de ce que je suis devenu, malgré tout et en dépit de tous ces souvenirs pénibles ou tendres, difficiles ou angoissants.

Aujourd’hui je cherche ce petit garçon assis sur les épaules de son grand-père qui respire l’odeur du fumier de la ferme et qui dit à celui-ci :

— On va s’enfoncer dans la boue, y’en a trop Tintin, on voit plus tes pieds !
— Mais non Vincent, avec moi tu ne crains rien, et puis à deux on est les plus forts !

J’ai souri mais il ne l’a pas vu. Aujourd’hui je souris encore Tintin, parce que tu es là, invisible mais présent et tu veilles sur moi.
J’oublie tout ça et à nouveau je grimpe sur tes épaules pour ne plus m’enfoncer… Oui, à deux on est les plus forts !

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