lundi 21 juillet 2025

Le rebelle et l’éternelle silencieuse. De Vincent Vallée



Le rebelle et l’éternelle silencieuse

Je ne t'ai jamais rencontré, tu es mort bien avant ma naissance. Mais je te connais depuis plus de 30 ans... Tu es celui. Celui... On connaît tous le grand amour une fois, une seule fois dans notre vie, et je crois que tu l'as connu, n'est-ce pas ? Toi pourtant, le convoité, la star du "Coron d'en haut", ton quartier. Le fils du brasseur mais aussi, le fils de l'acteur de théâtre patoissant. Toi, le marginal, le rebelle et l'admiré des filles autour de toi.


Le grand amour, tu l'as pourtant connu, et ce n'est aucune de ces filles qui te dévoraient des yeux et pouffaient entre elles à ton passage, qui fut l'élue. Ah, tu étais un cœur tendre, un grand timide, c'est vers la plus discrète que tu es allé, la plus réservée, celle qui se tenait à l'écart. Aujourd'hui encore, elle se tait à ton propos mais ne t'oublie pas. Aujourd'hui encore, elle ne vous raconte pas ou très peu...



Né durant les années 40, tu aurais aujourd'hui pas loin des 80 ans. Qui se souvient de toi ? Qui pense encore à toi ? Il faut croire que tu fus populaire, car au moins deux personnes pensent encore à ce que tu représentais. Pour l'une d'elles, tu étais son grand, son seul, son unique amour. Pour l'autre, tu es celui qui a failli l'effacer, si tu ne t'étais pas bêtement tué sur la grande route allant de Boussu à Quiévrain.


J'ai entendu parler de toi la toute première fois, alors que j'étais encore un gosse. C'est près du terril, non loin du "Puits sentinelle" autrefois où tu allais retrouver ton élue. Il y avait un pont sur lequel passaient les trains chargés de charbon, c'est sur un flanc de ce pont que toi et ton amour avez gravé vos initiales...


Alors, qui étais-tu ? Je n'arrive pas à le savoir, car elle ne te raconte pas, elle ne dit rien ou si peu. Oui, le peu que je sais, je le couche ici. Son cœur demeure un écrin, tu y est enfermé, à jamais je crois...



Lui as-tu offert des bleuets ? Es-tu allé jusqu’à la demander en mariage ? Pour qu’aujourd’hui encore elle pense à toi, je veux croire que tu l’aimais vraiment, qu’elle était dans ton sang, tes pensées, ton cœur. Et puis, une fin brutale. Toi, le rebelle, tu avais une moto, forcément, tu n’avais peur de rien, tu te croyais indestructible. Toi, le marginal populaire, le fils de l’acteur patoisant du "Coron d’en haut". Tu l’aimais, et elle t’aimait tant...


Elle se souvient de tout, je le sais, mais elle ne m’a pas tout raconté, pas encore... Est-ce qu'un jour l'écrin s'ouvrira? Elle se souvient de ta mort, jeune, trop jeune, à l’aube d’une vie commune, en plein amour passionné. Un dérapage, un autre véhicule ? Tu t’es tué à hauteur de Hainin alors que tu rendais visite à ta maman.


Quand elle t’a revu, tu étais allongé sur le carrelage, habillé, et le visage impeccable, si ce n’est un bleu à peine visible. La mort n’avait pas réussi à t’ôter ton charme, ta beauté, ta popularité. Car tu es parti en star. Tu as eu de grandes funérailles populaires, toute la ville était là, bourgmestre en fonction et anciens en tête. L'article de presse révèle l'émotion palpable autour de la levée du corps, les pleurs et les sanglots qui éclataient çà et là. L'énorme couronne de fleurs portée par les anciens de ton école, l'école du centre de Boussu. 


Une seule était à l’écart, la plus importante pour toi. Rien n’avait été officialisé, donc elle ne figure pas sur l’article de presse qui parle de ta mort stupide. C’est comme si vous n’aviez pas existé, mais pourtant... Oui, tu étais celui. Tu étais l’élu, son élu, celui de son cœur, celui de sa vie, son amour, son grand amour...


C’était gravé sur le flanc d’un pont, n’est-ce pas ? C’était gravé dans ton cœur et ton âme, toi, le rebelle au cœur timide.


Ta place fut prise quelques années plus tard, et je suis là. Sans ta mort, je n’écrirais pas ces lignes, et pour je ne sais quelle raison, tu me fascines, votre histoire me passionne. Ca vaut bien une trace, un écrit n'est-ce pas ?


Le populaire et la plus réservée... C'était vous deux. Celle que tu aimais, et qui fut certainement détestée de beaucoup, jamais ne t'as oublié. Elle n’avait rien fait, rien dit, mais tu lui avais volé son cœur. C’était ma mère, mais tu ne seras jamais mon père, cher Michel, tu resteras jeune et rebelle à jamais...



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