lundi 20 octobre 2025

Aux portes d'embarquements de Vincent Vallée

 


AUX PORTES D’EMBARQUEMENT

 

Aux portes d’embarquement, on peut les observer : les futurs voyageurs, les touristes.

C’est intéressant de les éplucher du regard, de tenter de les comprendre.

 

Il y a là une dame seule, la quarantaine.

Elle semble pompeuse, vêtue de manière classique pourtant, un visage de maman au tempérament d’institutrice, peut-être l’est-elle...

 

Seule. Fuit-elle quelque chose ? Quelqu’un ?

Plus de 4000 km, c’est loin pour voyager seule...

 

Un peu plus loin, un couple âgé.

Le mari se fait conduire en chaise roulante par son épouse.

Elle semble encore en forme, mais un peu lasse, aucun regard pour son vieux compagnon.

 

Ils ont pourtant beaucoup cheminé ensemble, je crois.

Elle porte un lourd fardeau qu’est l’impotence de son double, mais elle est pourtant là, lasse, mais là.

 

Lui, il est éteint, garé au bout de la rangée de sièges d’attente pour l’embarquement.

Il est tourné vers des inconnus qui arrivent, le regard angoissé de trouver le bon vol, fatigué d’avoir couru pour rien, car ils sont en avance, beaucoup trop.

 

Comme lui.

Mais lui, il avait de bonnes raisons. Cependant, il passe désormais sa vie à attendre les autres, il aimerait arriver en retard mais à pied…

Il était inconcevable de laisser passer une seule minute à gagner pour ne pas stresser et fatiguer son épouse plus que de raison.

 

Mais il est là pour elle.

Lui, il s’en fiche, il est fatigué d’être fatigué.

Il est las aussi d’être devenu le fardeau de jadis sa bien-aimée, celle avec qui il a virevolté sur les pistes de danse, celle qu’il a enlacée, aimée tendrement, passionnément.

 

Aujourd’hui, il sent qu’elle le supporte, qu’elle fait avec, et ça le mine.

Son fardeau lui vole son sourire et son bonheur.

Mais il est là, pour elle, que pour elle.

 

Aussi, ce couple musulman.

Elle est voilée, croyante et fidèle à sa foi, jolie sous son foulard, avec son foulard.

Le regard craintif, les joues rondes, elle avance avec son compagnon.

Ils sont jeunes et semblent s’empresser, comme s’ils fuyaient.

 

Lui, il a le regard affable, gentil, attentionné.

Il lui tient la main d’une manière protectrice, c’est frappant.

Frappant d’amour partagé.

 

Ils ont la foi, c’est d’ailleurs le guide de leur vie.

Mais parfois, cela leur pèse : le regard des autres, surtout là, dans un aéroport.

 

Comme s’ils portaient tous une ceinture macabre autour de la taille, un projet fou et meurtrier dans la tête ou dans les pensées.

 

Ces préjugés les poussent à être eux-mêmes racistes ou tentent de les convertir à ce sentiment malsain.

Ils en savent quelque chose.

 

Alors, sous les regards inquiets ou accablants, ils cheminent en silence, amoureusement, pour eux aussi profiter de quelques jours loin de tout, et au soleil.

 

Car en guise de ceinture, le jeune homme subit les lumbagos à répétition à force de ramasser les déchets des autres pour son travail à la ville.

 

Tandis qu’elle, c’est son ventre qui est ceint d’une vie à venir.

Elle est au début d’une grossesse, leur avenir, le fruit de leur amour.

 

Méritent-ils tous ces regards inquiets ?

Ils ne veulent pas le comprendre.

Ils avancent rapidement.

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