AUX
PORTES D’EMBARQUEMENT
Aux portes
d’embarquement, on peut les observer : les futurs voyageurs, les touristes.
C’est intéressant de les
éplucher du regard, de tenter de les comprendre.
Il y a là une dame seule,
la quarantaine.
Elle semble pompeuse,
vêtue de manière classique pourtant, un visage de maman au tempérament
d’institutrice, peut-être l’est-elle...
Seule. Fuit-elle quelque
chose ? Quelqu’un ?
Plus de 4000 km, c’est
loin pour voyager seule...
Un peu plus loin, un
couple âgé.
Le mari se fait conduire
en chaise roulante par son épouse.
Elle semble encore en
forme, mais un peu lasse, aucun regard pour son vieux compagnon.
Ils ont pourtant beaucoup
cheminé ensemble, je crois.
Elle porte un lourd
fardeau qu’est l’impotence de son double, mais elle est pourtant là, lasse,
mais là.
Lui, il est éteint, garé
au bout de la rangée de sièges d’attente pour l’embarquement.
Il est tourné vers des
inconnus qui arrivent, le regard angoissé de trouver le bon vol, fatigué
d’avoir couru pour rien, car ils sont en avance, beaucoup trop.
Comme lui.
Mais lui, il avait de
bonnes raisons. Cependant, il passe désormais sa vie à attendre les autres, il
aimerait arriver en retard mais à pied…
Il était inconcevable de
laisser passer une seule minute à gagner pour ne pas stresser et fatiguer son
épouse plus que de raison.
Mais il est là pour elle.
Lui, il s’en fiche, il
est fatigué d’être fatigué.
Il est las aussi d’être
devenu le fardeau de jadis sa bien-aimée, celle avec qui il a virevolté sur les
pistes de danse, celle qu’il a enlacée, aimée tendrement, passionnément.
Aujourd’hui, il sent
qu’elle le supporte, qu’elle fait avec, et ça le mine.
Son fardeau lui vole son
sourire et son bonheur.
Mais il est là, pour
elle, que pour elle.
Aussi, ce couple
musulman.
Elle est voilée, croyante
et fidèle à sa foi, jolie sous son foulard, avec son foulard.
Le regard craintif, les
joues rondes, elle avance avec son compagnon.
Ils sont jeunes et
semblent s’empresser, comme s’ils fuyaient.
Lui, il a le regard
affable, gentil, attentionné.
Il lui tient la main
d’une manière protectrice, c’est frappant.
Frappant d’amour partagé.
Ils ont la foi, c’est
d’ailleurs le guide de leur vie.
Mais parfois, cela leur
pèse : le regard des autres, surtout là, dans un aéroport.
Comme s’ils portaient
tous une ceinture macabre autour de la taille, un projet fou et meurtrier dans
la tête ou dans les pensées.
Ces préjugés les poussent
à être eux-mêmes racistes ou tentent de les convertir à ce sentiment malsain.
Ils en savent quelque
chose.
Alors, sous les regards
inquiets ou accablants, ils cheminent en silence, amoureusement, pour eux aussi
profiter de quelques jours loin de tout, et au soleil.
Car en guise de ceinture,
le jeune homme subit les lumbagos à répétition à force de ramasser les déchets
des autres pour son travail à la ville.
Tandis qu’elle, c’est son
ventre qui est ceint d’une vie à venir.
Elle est au début d’une
grossesse, leur avenir, le fruit de leur amour.
Méritent-ils tous ces
regards inquiets ?
Ils ne veulent pas le
comprendre.
Ils avancent rapidement.
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