dimanche 5 avril 2020

Il fallait bien que ça arrive. (Hommage à Marcel Moreau), par Vincent Vallée


Il fallait bien que ça arrive...

Marcel Moreau n'est plus, emporté par la vie tout simplement. Il y a un lourd bagage qu'il nous laisse, quelques valises emplies de mots, de phrases et de réflexions profondes. Il y a de la torture dans ces bagages, torture du verbe, du sens aigu, torture de la phrase. Marcel Moreau disait à propos de l'écriture:

Il ne suffit pas que l'écriture soit un chant, il faut qu'elle drogue, qu'elle enivre, qu'elle provoque chez le lecteur ces somptueuses titubations intimes sans lesquelles il n'est point de profondeur révélée. Il s'agit d'écrire un livre qui se boive, qui se danse plus qu'il se lise...

(Lettre à Anaïs Nin.)

Personnellement, j'ai lu "Quintes" et "La violencelliste"et j'en suis ressorti troublé, chamboulé, comme perdu, mais il y avait quelque chose de différent ensuite. Depuis ces lectures et la découverte de la plume de mon pays, puisque lui bien avant moi, a découvert ma ville, son village, et donc le Borinage, j'y reviendrai plus loin...
Après ces lectures donc, je n'ai plus lu un roman de la même façon, j'y recherche autre chose et en ce qui me concerne, Marcel Moreau m'a appris au travers de ses écrits à rechercher la phrase torturée, celle qui donne de la profondeur, du sens, une réflexion de quelques secondes... C'est à ça qu'on reconnait un écrivain. Dans "Quintes" j'avais relevé quelques passages que je cite ici :

" De la mort enfin, J'en voudrais dire deux mots, c'est qu'elle était là-bas, c'est qu'elle est ici, associée aux instants de bonheur, à la promenade le long de la Seine, à la trépidation même de ma seconde existence."

Mais aussi:

"Heureusement j'écris et j'aime, ce qui me permet de ne pas prêter une oreille absolue à cette morne « musique de l'ennui » qui suinte par tous les pores, désormais sans frontières, du discours contre l'être, le discours de la clôture de cet être."

Mais encore, et j'en viens à Boussu, notre village natal commun, à lui et moi mais aussi à ma payse Françoise Houdart, écrivain elle aussi de Boussu. L'évocation du métier de son père et de la région :



Moi je suis né à Boussu, toute boue sue... Il est obligatoire de constater que Marcel Moreau n'affectionnait pas particulièrement sa ville, mais pourtant il avouera lors d'une interview s'être peut-être trompé... Comment ne pas penser à Rimbaud, un autre bourreau des mots qui disait détester Charleville mais y revenait sans cesse ? Moreau écrira d'ailleurs dans "Quintes" ce passage au sujet de Boussu:

Je conserve de ce poussah urbain un souvenir presque ému, en tous cas fidèle... 

Et toi Boussu tu le laisses dehors aujourd'hui encore ? Je veux croire que pas cette fois, plus maintenant !
Marcel Moreau a habité la rue Jules Bonaventure de ma ville, et j'y passais chaque jour deux fois par jour et ce, durant sept années de mon enfance et en particulier à proximité de chez lui puisque j'allais à l'école Le collège sainte Marie de la même rue. Voici aujourd'hui, sa maison en avant-plan et l'école de mon enfance. 



Mais voilà, Marcel Moreau c'est autre chose que ce rapport à ma ville, commune, région: le Borinage, c'est aussi la vie à Paris, son œuvre gigantesque et parfois si difficile à lire, à comprendre... Celui qui prétend avoir tout compris ou tout aimé et de suite est un usurpateur non ? Cependant, je me suis efforcé de le lire, le relire et le comprendre, je me suis accroché. Sa vie est intimement attachée à ses écrits, c'est un écorché, parfois mal dans sa peau, déprimé... Et puis âgé. Il écrira encore dans un autre ouvrage "La violencelliste" que j'ai lu également, ceci:



Son style lui appartenait, et il fut longtemps incompris par beaucoup et l'est encore aujourd'hui. Peut-être faut-il être un peu comme lui pour s'en approcher et y croire pour le comprendre lorsqu'on le lit. J'ai, pour ma part, écrit beaucoup de textes sombres et nostalgiques, tristes et à la limite du morbide, et ce me fut reproché d'ailleurs. Mais lorsque j'ai découvert les écrits de Marcel Moreau j'ai été rassuré. Il faut le lire comme une confession, un épanchement, de lui, de la vie, sa vie, celle des autres... Je le ressens comme ça, en tous les cas, moi.
Je suis boussutois et j'aime ma ville car c'est ma ville, ce sont mes racines et Dieu sait que beaucoup tentent aujourd'hui de mettre en valeur celle-ci par ce qu'il reste de notre château de Boussu, grâce à Marcel Capouillez et son équipe, ce qu'il reste de notre littérature grâce à Françoise Houdart et quelques autres personnes dans son sillon. Alors oui, Boussu,  je veux croire que tu vas mettre enfin à l'honneur l'enfant du pays, mon pays, lui ce fut durant son enfance et un peu plus, moi c'est ma vie durant. 
Il y a ce qu'il faut pour le faire Boussu, tu n'as rien à faire, juste ouvrir les portes de ta culture, entrouvrir ton esprit  et laisser y entrer le temps de quelques instants fugaces dans une vie, quelques acteurs qui ont eu à cœur de mettre en avant ton écrivain le plus illustre peut-être. Et c'est Stefan Thibeau, fils de Roland Thibeau de la Roulotte Théâtrale qui s'en est chargé par le biais d'un film, un court-métrage à son sujet et à la fin de sa vie, un spectacle existe aussi. Alors Boussu ? Où es-tu ?
Mais comme Boussu n'est pas seule dans le Borinage, d'autres ont pensé à mettre celui-ci en avant par le biais d'un spectacle nommé "Identité Boraine", Françoise Houdart, Annie Préaux, Daniel Charneux, Roland Thibeau et d'autres qui tentent ainsi de redorer le blason du Borinage, notre pays. Marcel Moreau n'y est pas oublié, certainement pas.
Je ne vais pas m'épancher plus longuement car, mon but au travers de cet hommage à Mr Moreau c'est de réveiller quelques consciences, de susciter la curiosité des boussutois(es) et les autres bien sûr. Découvrez Marcel Moreau, son œuvre, sa vie. Ce sera je crois, une façon de le ressusciter ou tout du moins, de continuer à faire vivre son talent, sa profondeur... 




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