mercredi 22 juin 2016

Ecrire avec la lumière (Texte participant au concours de La Francité).

                                                       Ecrire avec la lumière

  J'aime partir le matin tôt, dès l'aube… Pour me balader et ainsi parcourir les rues de Paris ma charmante ville. Elle est un sujet très intéressant pour moi. Je descends là, dans cette petite rue. C'est janvier, il fait froid, je descends les marches glissantes, j'y suis… Mine de rien, ça pèse sur l'épaule un appareil photo ! Et pourtant, c'est si léger une fois son résultat accroché mur. On y est, le soleil se lève enfin, un beau et clair soleil d'hiver. Il est un peu trop lumineux. C'est aveuglant, mais c'est la saison qui veut cela ; néanmoins, il me réchauffe le visage. C'est triste, me dis-je, de devoir souvent lui tourner le dos en cette saison. C'est une si belle lumière parfois, tamisée, dissimulée par les branches d'arbres qui se réchauffent, s'illuminent sous son rayonnement. Se laissant transpercer pour créer une clarté obscure. J'observe de petites taches qui dansent sur le sol, une lumineuse communion du soleil levant avec la nature.
J'aime les lueurs matinales : Paris qui s'éclaire lentement, qui s'éveille. Les volets qui s'ouvrent un peu partout, un peu nulle part. J'entends le pépiement des oiseaux, heureux de se réchauffer au-dessus des reflets lumineux de la Seine que je longe à petits pas. L'eau m'éblouit, mais me ravit, elle m'offre un joli paysage. Une brume fine et claire monte du fleuve et pourtant semble figée, formant ainsi une couverture blanchâtre aux racines fluviales de Paris. Quelques péniches somnolentes et bien emmitouflées dans cette couverture cotonneuse, me donnent des idées de pose à prendre, d'angles à tenter…
  Je m'agenouille, je retente, en voilà quelques-unes… Je les regarde, c'est pas mal, elles me plaisent. À quelques mètres de là, assis sur un petit tabouret de bois, j'aperçois un homme figé qui semble regarder l'eau qui scintille sur ses jambes. Il est vêtu d'un gros manteau brun, une casquette visée sur la tête. Il a froid, dirait-on et pourtant, il est calme. Rien ne l'oblige à demeurer là, mais il est assis et en m'approchant, je le vois les yeux fermés. Il murmure, non, il chantonne.
  - Bonjour monsieur, je ne vous dérange pas ?
  - Oh bonjour ! Non tu ne me déranges pas, jeune homme, j'attends…
  - Ah bon ? Justement, je me demandais si vous aviez besoin d'aide, je me balade aussi très tôt et je vous voyais là, seul…
  - Oui, j'aime ces petits moments parfois, assis comme ça, je ferme les yeux, j'écoute Paris qui dort encore, je me laisse envelopper par la chaleur des rayons du soleil, et puis voilà…
  - C'est joli ce que vous dites, monsieur, j'aimerais prendre le temps comme ça moi aussi, on devrait tous le faire, ma foi.
  Le vieil homme tourna la tête et me regarda avec son regard clair.
  Il avait un regard si lumineux et en même temps  doux, comme apaisé. Il remonta son col puis, se frottant les mains, regarda droit devant lui au-dessus de la brume qui commençait à s'en aller, et il dit :
  - Oui, tu as raison, on devrait s'arrêter… Stopper nos vies qui souvent nous dépassent. Alors on court derrière elles, vois-tu, on ne maîtrise plus rien. La vie continue et nous on traîne dans son ombre. On ne sait plus la rattraper, c'est fini.
  - Comme c'est joliment dit, monsieur, vous êtes un peu poète, non ? Philosophe ?
  - Oh, j'écris un petit peu, oui. Tu es perspicace, dis-moi. Philosophe… Bah, faut bien l'être un peu, j'essaie de vivre l'instant présent, je n'aime pas la nuit, vois-tu ? Alors venir ici le matin et sentir la lumière se poser sur moi, écouter l'éveil de la nature qu'elle provoque, ça oblige ma vie à m'attendre. Mais dis moi, tu es bien équipé là, tu es aussi artiste à ce que je vois et matinal en plus, c'est magnifique.
  Je demeurais bouche bée devant les propos tenus par ce vieil homme, une tranquillité et un bon sens à toute épreuve : quelle sagesse, me dis-je.
  - Ah moi ? Oui matinal, eh bien, je ne le fais pas chaque matin. Je n'habite pas très loin et j'ai vu hier soir que la météo s'annonçait bonne pour aujourd'hui. Alors je suis venu voir si je pouvais trouver quelques paysages intéressants. Je ne suis pas déçu.
  L'homme sourit, puis fixant le fleuve qui brillait de mille feux sous les rayons matinaux, il dit :
  - Comme c'est intelligent ça, tu fais bien. Il faut en profiter ce n'est pas tous les jours qu'on peut se faire du bien à l'âme et au corps. Moi, vois-tu, après ça, je peux rentrer en sifflant et boire un café chez moi. J'ouvre alors la fenêtre pour laisser le matin chanter dans la maison. J'ouvre tous les rideaux, je veux que ce soit bien lumineux, sinon je déprime vite. J'ai besoin de ces moments pour me ressourcer.
  - Je vous comprends bien. Vous savez, la lumière c'est la vie, vous ne me contredirez pas, je crois… Et pour moi, c'est essentiel les rayons du soleil, la lumière. La clarté lunaire, la nuit, est aussi très belle à sa manière. Le reflet de l'eau, les matins d' hiver, c'est aveuglant mais si beau. Alors j'en profite.
  - En tout cas, petit, tu as un bien bel appareillage-là, c'est du haut niveau je me trompe ?
  - Oh, vous savez c'est un appareil photo banal par rapport à ce qu'on fait aujourd'hui, mais il me donne de belles photos, euh… Je ne sais pas si je peux ? lui dis-je en redressant mon appareil vers lui.
  - Tu veux me photographier ? Oh, je n'ai rien contre, tu es sympathique alors vas-y, je t'en prie.
  Quelle chance j'avais de rencontrer ce vieil homme, poète en plus. Il m'inspira beaucoup, la lumière, elle, était encore meilleure, car elle était plus vieille que tantôt déjà. Les taches continuaient de danser à ses pieds, je pris un peu de recul et m'agenouillai. Quelle belle prise de vue j'avais là. Ce vieillard assis sur un petit tabouret en bois, bien au chaud dans son manteau, l'air pensif et le visage éclairé de mille feux. Je pris des photos de profil, pour capturer le reflet de la Seine qui ondulait. Quelques oiseaux se risquaient au ras de l'eau, c'était magnifique à observer. L'homme regardait au loin, les yeux mi-clos, éblouis par la clarté du jour qui se lève. Plus loin, la tour Eiffel laissait penser à une jolie carte postale. Le ciel était bleu, l'homme était vêtu de sombre, il me semblait si lumineux dans la lumière du jour…
  Après une dizaine de prises de vue, je le remerciai :
  - Vous me faites un honneur, monsieur, vraiment ces photos seront magnifiques, je vous en donnerai si je vous revois un de ces matins ?
  - Oh, ne te tracasse pas, petit, si j'ai pu te rendre service en ne faisant rien, c'est un plaisir. Tu vois la clarté matinale, cette belle lumière, elle me fait du bien au corps, à mes vieux os…
Toi ça te donne des idées, de belles prises de vue, de jolis paysages à photographier. Finalement, la lumière, c'est indispensable, n'est-ce pas ? Même la nuit, tu le disais tantôt.
  J'étais heureux de cette rencontre, ravi de mes photos. J'écoutai mon nouvel ami et je ne pouvais qu'être d'accord avec lui. J'ai toujours pensé que la lumière n'était pas que le fait d'éclairer, d'éblouir. Je suis parfois fasciné par la lumière qu'éveillent en moi un air d'opéra, une chanson, un poème, un livre…
Nos âmes peuvent être éclairées, nos cœurs illuminés, nos journées éblouissantes, comme celle-ci, grâce à cette belle rencontre matinale.
  Je répondis alors :

- Vous avez tellement raison, monsieur. Vous disiez tout à l'heure que vous écrivez parfois, vous savez cet appareil, c'est un peu mon stylo à moi. Après tout, photographier, c'est écrire avec la lumière…

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